Alain d’Iribarne, directeur scientifique d’Actineo, n’a pas voulu en rester à cette 1re analyse, certes robuste scientifiquement, mais qui avait pris le parti d’analyser les résultats à travers la moyenne, soit la somme des réponses de l’échantillon des 5 métropoles. Or, l’enquête internationale Actineo 2021 est d’une telle richesse qu’il était dommage de ne pas comparer les écarts de chacune des métropoles par rapport à la moyenne et les écarts entre les métropoles, tout en faisant ressortir la spécificité française. 

Nous avons donc décortiqué toute la substantifique moelle de l’enquête dans le but de nourrir les réflexions des acteurs économiques qui se posent la question de savoir comment, à l’issue de cette crise sans précédent, les salariés et les indépendants travailleront demain, et leur donner un maximum de clés pour les aider à concevoir, organiser, accompagner les nouvelles organisations du travail et les nouveaux espaces de travail. Avec la volonté, également, de décrypter les scénarios à venir : observera-t-on de simples mouvements structurels ou assisterons-nous à des scénarios de rupture, comme à la suite des chocs pétroliers ou des graves crises monétaires, préfigurant une entrée dans un nouveau monde aussi bien paradigmatique que sociétal ?

C’est le travail auquel s’est attelé, ces derniers mois, Alain d’Iribarne, avec toute la rigueur scientifique qu’on lui connait. À partir de l’analyse approfondie des résultats de l’enquête, il a publié 4 articles qui permettent de mieux comprendre en quoi la singulière expérience de confinement, qui a touché le monde entier, va influer sur les comportements et les attentes de nos concitoyens dans leur relation au travail et à l’espace.

1.     Le premier article (Spécificité comparée des actifs des aires métropolitaines), à partir de l’analyse de l’échantillon, a permis de caractériser les spécificités structurelles et culturelles des 5 métropoles. 

Les 3 autres articles comparent les écarts de chacune des métropoles par rapport à la moyenne, ainsi que les écarts entre les métropoles, tout en faisant ressortir la spécificité française, le tout dans une perspective dynamique.

2.     Le deuxième article (Quelle hybridation à venir pour le travail de bureau ?) conforte l’hypothèse solide de l’hybridation à venir pour le travail au bureau.

3.     Le troisième article (Pourquoi revenir travailler dans son immeuble de bureau ?) analyse, à partir des réponses des actifs au bureau, les facteurs favorables et les freins au retour au bureau. 

4.     Enfin, le dernier article (Entre le souhaitable et le probable, quelle société à venir ?) a procédé à l’analyse comparée des souhaits, attentes et scénarios du futur exprimés par nos métropolitains sur le futur du travail.

 

À l’issue de ces deux années de pandémie, tous les acteurs de la vie économique et sociale se posent la même question : comment faire revenir en entreprise des salariés qui ont vécu une expérience de confinement et de télétravail intensif à domicile et qui sont en attente de nouveaux modes de vie ? Certains ont découvert les avantages du télétravail à domicile, d’autres ont même franchi le pas en quittant les grandes métropoles, d’autres, enfin, n’ont vu dans le télétravail qu’isolement et problèmes de santé physique et mentale.

 

Un nomadisme installé, une multiplication des lieux de travail

Avant la pandémie, le télétravail avait déjà fortement progressé. Grâce à l’expérience acquise à travers les enquêtes du Baromètre Actineo, on a pu mesurer l’évolution du nomadisme. En 2019, les actifs français au bureau étaient 53 % (+ 5 points par rapport à 2017) à dire qu’il leur arrivait de travailler en dehors de leur entreprise et 30 % étaient nomades réguliers, à savoir qu’ils travaillaient au moins plusieurs fois par semaine hors de leur entreprise.

De même, après avoir longtemps stagné dans les enquêtes Actineo à 15 %, le télétravail progressait régulièrement. En 2019, ils étaient 29 % en France à le pratiquer !

Les salariés, de plus en plus nomades, ont désormais le choix de travailler dans une multitude de lieux, en fonction de leurs envies, des exigences de leurs employeurs ou de leurs clients. 

 

L’immeuble de bureau, lieu de référence avant la pandémie

L’enquête internationale 2021 a révélé qu’avant la pandémie, dans les 5 métropoles, c’était l’immeuble de bureau qui était de loin (75 % moyenne des répondants des 5 métropoles), le lieu le plus fréquenté, même s’ils occupaient d’autres espaces pour travailler (domicile 32 % et 1/3 lieux 32 %).

Ce sont les Parisiens et les Londoniens qui fréquentaient le plus leur immeuble de bureau avant la pandémie. Ce qui n’empêchait pas les Parisiens de travailler de façon occasionnelle au domicile plutôt plus que les autres.

 

Les Français résistent au flex office et rêvent du bureau individuel fermé, plus que les autres

La toujours forte appétence des Français pour le bureau individuel fermé (53 % de bureaux fermés vs 49 % pour l’ensemble des actifs des cinq métropoles) et le rejet du flex office (qui semblerait mieux accepté s’il était choisi et non imposé) peuvent expliquer l’importance du travail à domicile dans le Grand Paris. Les actifs qui le peuvent, chercheraient, avec le travail à domicile, un lieu de travail mieux adapté à leurs attentes, en particulier pour pouvoir travailler au calme. 

 

Dynamique entre avant et après la pandémie : rupture ou continuité ?

Le Grand Paris se distingue de toutes les autres métropoles, avec la différence la plus faible entre avant et pendant la pandémie, la métropole ayant à la fois le plus pratiqué de travail occasionnel au domicile avant le covid et le moins pendant le confinement. Il faut savoir que les pouvoirs publics français, dès le début de la crise en 2020, ont toujours incité les entreprises à poursuivre leur activité, hormis, bien entendu, la liste définie d’établissements et de commerces ayant dû fermer pendant les confinements. À la différence de Londres par exemple, où les injonctions de confinement ont été plus radicales et le confinement plus long, soit une vraie logique de rupture ; à la différence des 4 autres métropoles, qui ont plutôt vécu des mouvements de continuité.

 

La fréquence du télétravail par semaine : 2 à 3 jours par semaine 

La moyenne de la fréquence de télétravail par semaine pour les 5 métropoles était déjà, avant le covid, de 2 à 3 jours par semaine. Avec une pratique plutôt modérée pour Paris Londres et le Randstad, et une pratique plus intensive dans le GAFA Land et à Singapour.

Face à l’ampleur de la réorganisation du travail pendant la crise sanitaire, cette norme dominante (2/3 jours par semaine) a certes été logiquement détrônée par un télétravail à domicile toute la semaine, mais elle a fait de la résistance avec un réel succès, ce qui montrerait sa pertinence de norme de référence à venir : elle sera une norme « choisie », acceptée économiquement et socialement, par opposition à la norme « imposée ». Toutes les enquêtes menées ces derniers mois en France et les accords collectifs de télétravail confirment totalement cette norme des 2 à 3 jours.

Attention toutefois à nuancer l’appétence pour le télétravail. Selon la catégorie socio-professionnelle, le secteur d’activité, l’âge ou le sexe, l’envie de télétravailler n’est pas la même. Les entreprises devront apporter une attention particulière aux caractéristiques socio-démographiques de leurs collaborateurs dès lors qu’ils se lanceront dans la mise en place d’accords collectifs de télétravail. 

Avec 3 jours par semaine de télétravail, il est légitime de se poser la question : le domicile va -t-il devenir le lieu de travail principal et l’immeuble de bureau le lieu secondaire, voire inutile en cas de télétravail toute la semaine ? Par ailleurs, cette fréquence peut également accélérer le phénomène de démétropolisation et faciliter le déménagement hors des grandes métropoles, voire remettre en cause le contrat de travail classique et accélérer d’autres formes de travail non salarial. 

 

L’intensité du télétravail : moins intensif, moins occasionnel, plus équilibré

Le télétravail dit intensif (4 jours et toute la semaine) n’est pas souhaité par nos métropolitains, sauf dans le GAFA Land. De même, la pratique occasionnelle de télétravail (1 jour par semaine) est moins souhaitée pour l’avenir qu’avant la pandémie. C’est bien le « 2 à 3 jours » qui est plébiscité.

 

Une réelle appétence pour le télétravail à domicile

Une des grandes surprises de cette enquête est que les métropolitains, et spécialement les Franciliens, sont manifestement plus favorables que leurs employeurs à une pratique régulière du télétravail à domicile. Ils sont 85 % (moyenne des 5 métropoles) dans l’enquête à souhaiter travailler à domicile à l’avenir et 83 % de ceux qui n’avaient jamais télétravaillé souhaitent désormais le faire.

Plus la proportion des actifs qui avaient déjà télétravaillé à domicile avant la pandémie est forte, plus l’appétence pour le télétravail à domicile sera grande et les attentes élevées. C’est l’effet d’apprentissage par la pratique. À l’issue de cette crise, on peut dire sans se tromper qu’on ne reviendra pas en arrière !

 

Une hybridation qui va se mettre en place en France en prenant son temps

Le Grand Paris va donc entrer dans une ère d’hybridation du travail, avec modération et en prenant son temps. La France se caractérise par une grande inertie dans la mise en place des réformes et une capacité à absorber – à lisser – les grands événements historiques (Mai 68, chocs pétroliers, crise des subprimes, pandémie du covid). C’est pourquoi les Français, lucides, seront plutôt en position de « suiveurs ».

Les entreprises vont être confrontées aux pressions des salariés pour plus de liberté dans leur organisation du travail et dans le choix des lieux dans lesquels ils seront amenés à travailler. Elles devront satisfaire ces attentes fortes, selon les caractéristiques socio-démographiques des collaborateurs, les contraintes professionnelles et de métier, mais aussi leurs profils psychologiques, et proposer une plus grande variété de solutions. 

 

Grande complexité de l’organisation du travail et de l’espace pour les entreprises

Pour répondre aux attentes multiples de leurs salariés, les entreprises vont devoir écrire, en termes d’organisation du travail, des cahiers des charges d’une complexité sans mesure par rapport à la situation d’avant la pandémie, et cela d’autant plus qu’elles vont devoir face à des exigences de performances accrues et élargies aux trois domaines économique, social et environnemental. 

En corollaire, elles devront proposer une grande variété d’espaces de travail en de multiples lieux, agrégeant espaces individuels, espaces collaboratifs et espaces informels, combinant, de plus, le « présentiel » et le « distanciel ». Il en résultera des situations de gestion des rapports individuels/collectifs complexes et autrement plus difficiles à gérer qu’avant la pandémie. 

Cette situation sera singulièrement vraie pour les managers de premier et de second niveaux qui, au plus près des équipes, auront beaucoup de difficultés à gérer la grande variété de situations concomitantes, indue par la pratique des 2 mais surtout 3 jours de télétravail par semaine.

 

Quel modèle d’organisation du travail demain ?

  • Un modèle d’inflexion, avec 2 jours de télétravail par semaine et 3 jours dans l’immeuble de bureau. Ce modèle, qui a de fortes chances de s’imposer en France, nécessitera une adaptation du modèle managérial de certaines entreprises.
  • Un modèle de rupture, avec 3 jours et plus, de télétravail par semaine, de sorte que l’immeuble de bureau ne sera plus le lieu principal du travail. L’adoption de ce modèle nécessitera un changement radical des pratiques managériales, une modification des rapports sociaux dans le cadre de relations professionnelles elles-mêmes renouvelées.
  • Enfin, un modèle de continuité avec 1 jour et moins de télétravail par semaine. Ce modèle ne posera aucun problème managérial majeur, car il était déjà pratiqué avant la pandémie. 

 

La bonne nouvelle ? Les accords affichent souvent en préambule, un double objectif de QVT/bien-être, à travers un meilleur équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, ainsi que de flexibilité dans l’organisation.

 

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