Par quelle spécialité avez-vous commencé votre parcours ?

Diplômée d’Environnement et Cancers, d’Environnement et Santé Publique, de Réparation du Dommage Corporel, d’Hydrologie et Climatologie Médicales, je suis à la base oto-rhino-laryngologiste. Dans les années 80, j’ai constaté une augmentation des consultations pour maladies allergiques. Rien n’était fait, l’allergie ne se traitait que de manière curative, alors qu’il fallait réfléchir en amont pour éviter la maladie. Dans les pays nordiques et en Amérique du Nord, on commençait à s’intéresser à ces problématiques et à la relation bâtiment et santé. Il y avait déjà des publications et quelques études, mais peu d’applications pratiques. Ce sujet m’a donc attirée.

Vous avez créé la société Medieco en 1986, était-ce sur ce même constat ?

Oui, un triple constat même : On ne peut prétendre guérir un patient sans prendre en considération les influences de son environnement quotidien. L’idée n’est pas neuve. Hippocrate l’a énoncé, il y a 25 siècles dans son traité « Des airs, des eaux et des lieux ». Au début des années 80, il existait une carence importante d’information sur cette relation santé-bâtiment, au sein du monde médical et des professionnels du bâtiment. La médecine moderne ne peut se réduire aux seuls actes de soins. Les prescriptions de réalisation de bâtiments plus sains se situent en amont de la maladie et contribuent à l’éviter. Cette prévention est un acte médical à part entière permettant de limiter les dépenses de santé. Des actions bien comprises en matière d’habitat et de bureaux participent à la protection de la santé au sens large du complet bien-être. Et en 1987, le développement durable faisait son apparition sur la scène internationale avec le Rapport Bruntland. Nous étions dans les Pyrénées avec mon mari, et avons décidé de créer notre propre structure à partir d’Andorre. Il a néanmoins fallu être patient, crédibiliser la démarche et produire des documents. D’où nos nombreuses publications. La dernière, "Bâtiment, Santé, la Tour des labels", a été réalisée avec une jeune diplômée de mon Master, sur le constat que les bâtiments certifiés ne prenaient pas forcément en compte la santé.

Vous avez été visionnaire en France !

Oui, mais il ne faut pas avoir raison trop tôt ! Il était difficile de faire ce lien entre bâtiment et santé. Il a fallu attendre l’interdiction de l’amiante en 1997 pour que les modes de réflexion changent un peu. J’ai créé le premier Master français "Risques en santé dans l’environnement bâti », RISEB, dont j’ai conçu le parcours comme Professeur associé à l’Université d’Angers - Ingénierie des Stratégies de santé dans les bâtiments à l’ISSBA Angers où j’intervenais déjà depuis 1999 sur la relation entre la santé et les bâtiments pour sensibiliser les étudiants en 3è année de licence. La préoccupation devenant forte, la directrice m’a proposé d’en faire un Master en 2008 pour professionnaliser ces étudiants, et pour que les entreprises aient les compétences adéquates. Parmi la dernière promotion diplômée, tous les étudiants ou presque ont trouvé un travail et participent à l’émergence de ce nouveau métier d’ingénierie de stratégies de santé. Récemment, une étudiante péruvienne, diplômée de l’Université nationale d’ingénierie de Lima a fait ce Master après avoir travaillé dans les compagnies pétrolières en hygiène et sécurité du travail. Je reviens du Pérou où la directrice de l’ISSBA vient de signer une convention d’échanges d’étudiants et de professeurs. C’est pour l’instant l’unique master en France sur le sujet, mais nous progressons peu à peu. Il se trouve que je suis l’un des rares médecins qui développe une culture croisée la plus globale possible sur les impacts sanitaires du bâtiment. Aujourd’hui une quarantaine d’intervenants différents, architectes et ingénieurs, toxicologues, psychologue, etc..participent à cette formation. En 2011, je suis devenue présidente de l’Association Bâtiment Santé Plus, puis j’ai créé le nouveau rendez-vous annuel d’information dédié à la santé dans le bâtiment LES DÉFIS BÂTIMENT & SANTÉ à ANGERS avec l’Institut supérieur de la santé et des bioproduits d’Angers (www.defisbatimentsante.fr).

Et comment expliquez-vous que les préoccupations liées à l’environnement de travail ait pris autant de temps pour être mis sur le devant de la scène ? 

Il y a eu une prise de conscience notamment avec le Grenelle de l’Environnement. On pense que cela ne va jamais assez vite, mais l’implication des acteurs est plus forte, même s’ils ne savent pas toujours comment agir.

Avez-vous des préconisations spécifiques pour les espaces de bureau ? Y a-t-il des bureaux sains ?

Le bureau est le meilleur levier économique pour faire prendre en compte la relation santé bâtiment ; parce qu’il y a un retour sur investissement mesurable financièrement par les gestionnaires. Les Américains l’ont bien compris et font des études bénéfices coût depuis 15 ans, notamment à Université de Berkeley. Ainsi, en améliorant le bâtiment, on peut diminuer de 15 % les cas annuels de grippes. Transposée en coût français par l’Agence régionale environnement et énergie d’Ile-de-France, l’étude montre qu’on économiserait 1 à 2 milliards d’euros par an en diminuant de 15 % les cas des grippes annuelles. Si un constructeur investit pour que les bureaux soient mieux ventilés, il y aura moins d’absentéisme, les arrêts de travail coûteront moins chers pour l’entreprise, les performances seront meilleures.

Concrètement, dans les bureaux, il y a plusieurs niveaux :
  1. 15 % des cas annuels de grippes peuvent être attribués au bâtiment de bureau, en raison du taux d’occupation et des open space. La solution est de mieux renouveler l’air, ce qui peut permettre de faire gagner jusqu’à 1 milliard d’euros.
  2. Environ, 15 % des symptômes allergiques sont aggravés, par exemple, par le formaldéhyde alors qu’il n’y a pas d’acariens dans les bureaux, même pas dans les moquettes, car il n’y a pas de lit. Au bureau, c’est un cocktail de substances qui augmente ces allergies, notamment en raison des produits d’entretien parfumés.
  3. Le syndrome des bâtiments malsains existe : les gens ont mal à la tête, sont congestionnés, etc. Les symptômes ne sont pas graves, mais les gens ne sont pas bien. Or la santé, c’est être bien. Il faut étudier dans ce cas différents paramètres, comme le niveau de l’éclairage naturel ou artificiel de l’open space. Une vraie étude globale est nécessaire dans l’environnement de bureau. Avec Medieco, nous avons mis au point un diagnostic de performances sanitaires® à l’instar des diagnostics de performances énergétiques. Une grille avec des cotations très complètes permet de mettre en évidence les points à améliorer.

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