Pourquoi la question de la confiance, bien connue depuis si longtemps, réapparait-elle si fortement aujourd’hui ? Est-ce un nouvel effet de mode dans un monde cyclique ou un nouveau besoin dans une triple dynamique économique, sociale et technologique ?

Les deux, car chaque fois qu’une société sent son avenir menacé par ses contradictions internes, elle se met à la recherche d’une pierre philosophale susceptible de la sauver. La confiance universelle restaurée serait en quelque sorte le joker de notre société planétaire largement partie en déshérence.

 

Mais quand on parle de confiance, de quoi parle-t-on ?

On parle de plusieurs choses :

  • La confiance en soi, qui renvoie à la construction de la personnalité de chacun ; à son propre regard et sous le regard des autres ; de la confiance relationnelle bilatérale dans une relation à un autre. Cette confiance pose la question du « faire confiance » -  de « à qui faire confiance » -, et donc celle du discernement, de l’art de bien choisir ;
  • La confiance transactionnelle ou contractuelle : le fameux « contrat de confiance », qui revoie aux supports de la confiance et à leur formalisation dans une judiciarisation croissante de nos sociétés ;
  • La confiance sociétale avec la question du statut de la confiance comme mode dominant de la régulation sociale collective et de la confiance dans l’autre, l’étranger.

 

A quoi est liée la difficulté qu’on rencontre en abordant la confiance ?

Elle est liée au fait que la confiance et son opérationnalisation sont des constructions sociales qui diffèrent d’un groupe à un autre ; d’une nation à une autre ; voir d’une civilisation à une autre. Cette question du statut de la confiance dans une société est utile pour évaluer l’importance et la nature des efforts à faire pour l’instaurer et la faire perdurer. Par exemple, ce statut est relativement faible en France, pays où la suspicion est relativement forte, elle-même légitimée par le fait que la fraude, le contournement des règles et des lois sont vécus comme un art dans une sorte de jeu du gendarme et du voleur.

Une autre difficulté est liée au fait que le processus d’établissement de la confiance est fortement dissymétrique : établir la confiance est long et délicat ; perdre la confiance est rapide et facile.  Ainsi, la confiance se travaille et se mérite. Et si son établissement est finalement négociatoire, il a des corequis tels que par exemple la sincérité.  Or, on se trouve en face de pratiques qui mettent en exergue la « real politicy » avec une composante qui la tire vers un cynisme de bon aloi. Dans un tel contexte, la parole donnée n’a plus guère de valeur et la mise en forme juridique contractuelle est elle-même fragilisée par l’intervention des avocats d’affaires payés pour détecter les failles contractuelles et en tirer profit pour ne pas respecter les termes du contrat.

 

Dès lors, comment vivre, faire des affaires et travailler ensemble ?

Une réponse réside dans l’apparition des « tiers de confiance » dont le rôle est de certifier que la transaction entre les partis est loyale et honnête. Une autre réside dans l’apparition, en même temps que la résurgence de la question de la confiance, de tout un « business » de conseil à l’intention des cadres dirigeants – des mangers. Un business à consonances morales telles que : la fraternité, la bienveillance, l’éthique et même le spirituel… tout ça pour répondre à « la crise du lien social ».

Une question également intéressante à explorer est celle des rapports qu’entretient la confiance avec la transparence et avec la dynamique des TIC dans une société dite de « l’information et de la communication » où il faut faire parler de soi pour exister. Comme il faut toujours le rappeler à ce propos : les techniques n’ont de valeur qu’en relation avec leurs usages et ces usages dépendent des philosophies des usagés. Les techniques permettent de concevoir des outils qui n’obligent à rien : elles sont « permissives ». C’est ainsi que les TIC associées à une philosophie qu’on pourrait qualifier « d’humaniste » peuvent être un très bel outil au service de la confiance :de son établissement et sa mise en œuvre à travers une transparence accrue de l’information. Mais malheureusement elles ne prennent pas cette voie : le W.02 est le paradis du contrôle ; le W.03 et les « réseaux sociaux » sont le paradis des arnaques et autres escroques entièrement basées sur la confiance tandis que les « fake news » sont basées sur la défiance ; le W.04 et « l’Intelligence Artificielle », s’annoncent enfin, si on n’y prend pas garde, comme le paradis de l’intrusion et de l’inquisition.

 

Que dire à ce stade de la situation plus spécifique les DRH et des managers ?

On peut dire que leurs activités les placent au cœur des contradictions générées par la rencontre d’une double dynamique constituée d’un côté par une dynamique d’un paradigme productif qui vient déstabiliser les repères et les pratiques managériales dominantes – singulièrement dans les grandes organisations-, et une dynamique sociale qui modifie en profondeur les attentes et les acceptations des actifs à la recherche d’un travail. Il en résulte qu’une partie importante de leur travail est de gérer des « injonctions paradoxales » c’est-à-dire de trouver des solutions à des problèmes largement insolubles dans le cadre des cahiers des charges qui leur sont donnés :

  • Il est ainsi bien souvent demandé aux dirigeants de sites et à leurs bras armés que sont les DRH, d’expliquer aux collaborateurs qu’ils doivent faire des efforts renouvelés d’efficacités productives pour préserver leur emploi et le lendemain, avec la même main sur le cœur, d’expliquer qu’ils sont désolés mais que ces efforts n’ont pas suffi à préserver la pérennité du site au sein de l’entreprise soit parce qu’on fait mieux ailleurs, soit qu’il n’entre plus dans le périmètre stratégique de l’entreprise.
  • Il leur est aussi demandé de façon plus générale de mettre en place des outils destinés à favoriser chez tous les collaborateurs mieux que des pratiques de collaborations, des pratiques de mutualisations de savoirs et savoir-faire, dans le cadre de gestions individualisées qui les mettent en concurrence.
  • Il leur revient également de faire comprendre à des collaborateurs stressés à qui il est demandé de faire « toujours plus avec toujours moins » et en même temps d’être compétents c’est-à-dire « d’être autonomes, responsables et créatifs » tout en étant soumis à une réduction de leur liberté d’action liée à un renforcement des procédures et aux choix d’informatisation retenus, qu’ils sont là pour leur bien-être au travail et mieux, pour leur bonheur. Les directions commencent même pour cela à expliquer qu’elles ont trouvé le Graal : la nomination d’un « ChIef happiness officer ».  

Dans la pratique, parce que d’une manière ou une autre les mangers tout au long des lignes hiérarchiques ainsi que les DRH sont situés au cœur des enjeux majeurs d’une recomposition économique et sociale dont nous ne sommes qu’à l’aube, ce sont eux qui ont le plus besoin de maîtriser l’ingénierie complète de la confiance avec les multiples facettes que nous avons rapidement évoquées. Ils doivent maîtriser tous les savoirs et savoir-faire associés, non pas seulement pour eux, mais aussi pour tous les dirigeants et leurs lignes hiérarchiques.

 

Toutes les organisations doivent-elles relever les nouveaux défis qui supposent que soit maîtrisée la confiance ?

Oui, la capacité à établir et maintenir la confiance devient en quelque sorte une compétence transversale à toutes les activités professionnelles comme le montre les deux exemples suivants :

  • La transformation paradigmatique des espaces de travail associant la déstructuration des temps et la multiplication des lieux de travail – open space intelligents, télétravail, tiers-lieux-, au nomadisme dans une recherche de fluidité a pour conséquence directe une remise en cause des façons traditionnelles de manager à la française avec un contrôle hiérarchique de visu. Le management devra d’autant plus avoir besoin de manager par la confiance que, de plus, il aura affaire à une proportion accrue de jeunes générations qui entendent bien que la liberté d’action rendue permissive par les nouveaux espaces de travail leur soit massivement laissée accrue comme le montre si bien le dernier Baromètre ACTINEO/Sociovision sur la qualité de vie au bureau.
  • Plus largement, l’introduction dans la dernière « loi travail » d’un niveau renforcé de négociation dans les entreprises au-delà des branches, conduit inéluctablement à des besoins de pratiques élargies de négociations qui ne pourront être opérationnellement efficaces que si elles s’appuient sur un dialogue lui-même basé sur une confiance nécessaire.

On peut donc mesurer combien la confiance constitue un vaste et beau challenge : un challenge difficile et exigeant, très exigeant.